28e dimanche du temps ordinaire - 13 octobre 2024
Évangile selon saint Marc 10, 17-30
Chers Frères et Sœurs,
Nous avons tous entendu cette citation si souvent répétée : « L’argent ne fait pas le bonheur… mais il y contribue ». Elle sonne comme une évidence, et pourtant, nous vivons dans un monde où la quête des biens matériels semble occuper une place primordiale et où, au final, nous omettons la première partie de cette citation pour n’en retenir que l’argent contribue au bonheur. Mais avec quel effet réel sur nos vies ? Parallèlement, notre sens commun de la morale nous permet de saisir que même si l’argent peut apporter du confort, de la sécurité, et même certaines formes de satisfaction… il n’est rien sans celui qui le manipule. Et pourtant, malgré cette moralité d’agir « en bon père de famille », un vide demeure et persiste, comme un manque de quelque chose de plus profond, de plus intime. C’est donc notre rapport à la richesse, tant matérielle que morale, que je vous propose de méditer ensemble aujourd’hui. Ces richesses, pourtant nécessaires à notre vie quotidienne, qui ne suffisent pourtant pas à nous donner le bonheur véritable ni à nous ouvrir les portes de la vie éternelle.
En effet, dans notre Évangile du jour, Jésus rencontre un homme riche, bien disposé, qui vient à vers lui avec une question essentielle : « Bon Maitre, que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle ? » Cet homme représente quelqu’un qui semble avoir « réussi » sa vie par son aisance matérielle, par sa vie vertueuse et qui reconnait Jésus comme un véritable modèle de foi, comme le seul capable de répondre à sa question. À ce stade de notre méditation, quel exemple cet homme parfait en tout point peut-il nous offrir ? Déjà simplement par le fait qu’il a compris que ni la richesse ni la moralité ne suffisent à combler le cœur humain. Plus précisément, la richesse matérielle, bien qu’elle puisse améliorer la qualité de vie, est limitée dans sa capacité à apporter une paix durable ou à répondre aux aspirations profondes de l’âme. De même, la vertu morale, bien qu’essentielle pour vivre en société, ne suffit pas non plus à nous assurer la vie éternelle ou le bonheur absolu. En effet, l’homme dans cette histoire reconnait avoir respecté les commandements depuis son enfance… et pourtant, il sent qu’il lui manque encore quelque chose sans savoir comment y accéder. Bref, même si la vie morale est importante, elle ne peut pas, à elle seule, nous faire entrer dans le Royaume de Dieu. Il faut donc autre chose, quelque chose de plus radical, quelque chose de plus profond.
C’est alors que Jésus traduit son trouble et sa quête de croissance : « Il te manque une seule chose : va, vends tout ce que tu as, donne-le aux pauvres ; puis viens, suis-moi. » Par cette simple réponse, précise, concise et chirurgicale, Jésus confirme à cet homme que la richesse matérielle et la moralité, bien qu’elles participent au bien-être humain, ne sont pas le chemin direct vers la vie éternelle. Jésus pointe également le cœur de son manque où, prises comme seules références de réussites de sa vie, ces richesses peuvent devenir des obstacles au bonheur véritable. Ainsi, Jésus l’appelle à un détachement radical, non seulement de ses biens matériels, mais aussi de son propre sentiment de suffisance morale : afin qu’il puisse enfin lever le nez de lui-même et de son autosatisfaction ; afin qu’il puisse s’ouvrir non pas à quelque chose – à la vie éternelle qu’il voit comme un autre bien à acquérir – mais bien à quelqu’un. Bref, Jésus appelle cet homme à entrer dans une relation d’amour et de confiance totale avec Lui, le Tout Autre, le seul capable de combler son manque.
Ainsi, ce que Jésus propose à l’homme riche, mais également à nous qui vivons cette Parole aujourd’hui, c’est un chemin de dépassement et d’abandon, un chemin de foi. En invitant cet homme riche à aller au-delà de ses possessions matérielles et au-delà de la simple observance des commandements, il nous demande également d’oser nous détacher de nos richesses qui nous enferment sur nous-mêmes pour apprendre à donner. En d'autres termes, la clé du bonheur et de la vie éternelle réside non pas dans la richesse des biens ou dans le fait d’être moralement irréprochable, mais bien de vivre l’Amour, dans le don de soi et dans sa relation avec Dieu. Car, vous l’aurez compris, cette relation intime avec Dieu, c’est ce qui manque à l’homme : une relation vivante et profonde avec Dieu, une relation fondée sur l’amour gratuit et non sur l’accumulation des biens ou l’accomplissement aveugle des lois comme des règles à cocher pour accumuler des mérites. Ainsi, la clé du bonheur passe par cet amour qui appelle au libre dépouillement qui permettent de tout remettre entre les mains de Dieu et de se mettre entièrement à son service.
Mais pourquoi ce dépouillement est-il si difficile pour cet homme ? Car il conçoit la vie éternelle comme un « héritage », c’est-à-dire comme un autre bien à posséder comme en récompense de sa réussite et de ses mérites en fonction des règles qu’il a respectées. Or, vous l’aurez compris, la vie ne s’achète pas… d’autant plus la vie éternelle. En d’autres termes, la vie est un don… un don d’Amour reçu de Dieu et à transmettre également aux autres avec la même intensité ; et ce, afin de rendre grâce pour cet Amour reçu. « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit… et tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Jésus nous rappelle ainsi que la vie éternelle ne s’achète pas, ni par les richesses ni par les œuvres morales. Elle est un don gratuit de Dieu, accessible à ceux qui sont prêts à se détacher de tout ce qui pourrait entraver leur cœur et leur esprit, pour s’abandonner entièrement à l’Amour divin.
Quelle beauté ! Quelle simplicité ! Mais dès lors, comment expliquer la réponse de Jésus à cet homme de vendre tous ses biens et qui, au final « s’en alla tout triste, car il avait de grands biens ». Dans le cas présent, Jésus répond de façon radicale à la mesure de la radicalité de l’homme telle qu’il présente ses biens. Radicalité de l’abandon que les apôtres ont librement consentie. De même, sa tristesse nous montre également comment les richesses matérielles peuvent devenir un obstacle à notre relation avec Dieu et à notre quête du véritable bonheur en renonçant directement au sens même de la valeur des biens. Car nous pouvons trop facilement nous appuyer sur notre apparente réussite pour penser que nous avons « tout » accompli… et oublier que le bonheur véritable réside dans une relation vivante et aimante avec Dieu, dans l’amour inconditionnel, dans le don de soi, dans la relation profonde avec Dieu. Ainsi, lorsque nous faisons le choix de suivre Jésus, nous découvrons une richesse infiniment plus grande : celle de l’Amour qui comble et satisfait nos cœurs, l’Amour véritable qui nous conduit au bonheur et à la vie éternelle.
Pour conclure, chers Frères et Sœurs, « l'argent seul ne fait pas le bonheur », de même que la vertu morale seule ne nous permet pas de l’atteindre non plus. Jésus ne les dénigre pourtant pas. Au contraire, il nous engage et nous encourage à reconnaitre ces biens comme participant à notre bien-être sans toutefois suffire à combler notre âme. De même, même si son attente pour le suivre peut paraitre déroutante, voire extrême comme celle donnée aux apôtres et à l’homme riche, ne doutons jamais que son regard sur nous est toujours porté par l’Amour. En ce sens, la réponse qu’il attend de nous demeure à la mesure de chacun de nous, c’est-à-dire en fonction de ce que chacun de nous est, peut ou veut donner. Nous ne sommes pas tous prêts ou destinés à vivre notre vocation d’enfant de Dieu dans cette même radicalité des apôtres pour suivre totalement le Christ, à l’image des moines et moniales et de leurs vœux. Non ! Jésus appelle simplement chacun de nous à un bonheur plus grand, à une vie plus riche, à une vie mesurée et fondée non pas sur les biens matériels ou les mérites, mais bien sur l’Amour de Dieu.
Que cette parole de Jésus nous pousse à chercher la vraie richesse, celle qui se mesure en amour. Aimons Dieu ! Détachons-nous de ce qui nous retient, et suivons Jésus avec un cœur libre. Ainsi, nous entrerons dans le bonheur véritable, celui qui ne passe pas, celui de la vie éternelle.
Amen. Alléluia.
Frédéric Kienen