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Photo du rédacteurFr. Laurent Mathelot, o.p.

Se sacrifier pour Dieu

Dernière mise à jour : 2 avr.

5e dimanche de Carême - 17 mars 2024

Évangile selon saint Jean (Jn 12, 14-21)



Sommes-nous sur cette Terre pour souffrir ?

 

Nous avons tous, hélas sans doute, fait l’expérience de la souffrance déjà : celle du corps, celle du cœur, voire celle de l’âme. Le Christ que nous suivons, a lui aussi dû souffrir : il a dû boire cette coupe qu’il a pourtant supplié le Père d’éloigner. Et il a souffert jusqu’à en mourir, humilié sur une croix. Souffrance du corps, souffrance du cœur, souffrance de l’âme.

 

Bien sûr, la Lettre aux Hébreux dit que la prière et les supplications que Jésus adressa à son Père dans un grand cri – « Mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné ? » – et dans les larmes, ces prières ont été exaucées : il a finalement triomphé de la mort ; il est ressuscité. Mais la lettre continue : il a été exaucé en raison de son grand respect, parce qu’il a appris l’obéissance par ses souffrances. Dieu nous demande-t-il cela : d’obéir par la souffrance ? Sommes-nous sur cette Terre pour souffrir ?

 

C’est une grande question la souffrance et c’est le principal angle d’attaque de l’athéisme contre l’idée de Dieu : si, en effet, Dieu est bon, tout-puissant et veut absolument sauver tout homme ; pourquoi donc devons-nous encore souffrir ?

 

Certes c’est un court extrait que nous venons de lire et la Lettre aux Hébreux est un véritable traité de théologie qui déploie une vision bien plus large que ce tout petit passage : Jésus est l’ultime grand-prêtre, le seul représentant humain crédible auprès de Dieu, qui a accepté au nom de tous de sacrifier sa vie et que Dieu a exaucé, exauçant du même coup tous ceux qui s’en remettent à lui. Si on lit attentivement la Lettre aux Hébreux, on comprend que la Croix était l’ultime sacrifice. Et on comprend aussi que la perfection qu’atteint ainsi le Christ était celle de rejoindre toutes les réalités humaines. Le Christ est parfait non pas parce qu’il souffre, mais parce qu’il rejoint la souffrance des plus misérables : les innocents que l’on crucifie injustement. Le Christ est parfait parce qu’il montre concrètement que, de la souffrance injuste, on ressuscite.

 

Mais il ne la voulait pas. Les textes sont clairs : il a supplié ne pas devoir boire le calice de l’injustice. En cela, il est resté juste jusqu’au bout, en ne souhaitant pas que les hommes commettent d’injustice envers lui.

 

Dans l’Évangile, la parabole du grain de blé qui doit mourir pour donner du fruit, n’est-elle pas encore une invitation à accepter la souffrance et la mort ? « Qui aime sa vie la perd ; qui s’en détache en ce monde la gardera pour la vie éternelle. » Et puis ce terrible passage où son âme est bouleversée, où Jésus renonce à demander à son Père de l’épargner : « Que vais-je dire ? “Père, sauve-moi de cette heure” ? – Mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci ! Père, glorifie ton nom ! ». C’est écrit noir sur blanc : il se soumet au sacrifice. Et le paragraphe se conclut : « et moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes. » Sommes-nous censés être attirés par la souffrance et la crucifixion ?

 

C’est tout de même un discours que l’on a beaucoup tenu dans l’Église : prendre son mal en patience, savoir porter sa croix, souffrir en silence voire offrir ses souffrances… en sacrifice. Sommes-nous sur cette Terre pour souffrir ?

 

Les premiers chrétiens ont tout de suite vu, dans la prophétie de Jérémie, l’annonce du salut apporté par le Christ, la nouvelle alliance que Dieu scelle, à travers lui, au cœur de l’humanité. « Ce ne sera pas comme l’alliance que j’ai conclue avec leurs pères, le jour où je les ai pris par la main pour les faire sortir du pays d’Égypte », mais « j’inscrirai ma loi sur leur cœur ». Au temps de Jérémie, le Temple est souillé par un peuple perverti ; le roi et les sages se révèlent incompétents. Au temps de Jérémie, les institutions sont corrompues et la société décadente. Le cri de Jérémie c’est : « Nous avons rompu l’alliance avec Dieu : des malheurs vont arriver. » Et de fait, bientôt viendra Nabuchodonosor, la destruction du Temple et l’exil à Babylone.

 

Pourtant, au-delà de la lamentation de Jérémie, on trouve cet oracle de Dieu qui témoigne de sa prodigieuse miséricorde et d’un ultime renouvellement de l’alliance. Dieu ne prend plus le peuple par la main – puisque celui-ci le lâche – mais il s’incarne au plus profond de l’humain. La Loi, cette parole qui délimite le champ de l’amour, n’est plus extérieure, gravée sur des tables de pierre, mais intérieure, inscrite dans des cœurs de chair. Elle n’a plus seulement à être observée, elle a à être vécue, incarnée. Ce que proclame cet oracle c’est que l’intimité de Dieu avec l’humanité atteint désormais un stade inouï, charnel.

 

Ce faisant, Dieu tire un trait sur notre histoire passée, nos fautes, nos péchés : s’il envahit nos cœurs, c’est bien qu’il pardonne. Nous n’avons pas à expier nos fautes dans la souffrance ; nous n’avons qu’à les expier dans l’amour. Expier c’est avant tout se convertir à l’amour. Le Christ a fait le reste : il a pris sur lui la souffrance. Lui a souffert injustement pour montrer au monde l’intention de Dieu de rejoindre le cœur de ceux qui souffrent injustement. Lui a dû accepter le sacrifice, parce que son obéissance était nécessaire au témoigne d’amour d’un Dieu qui vient effectivement rejoindre le plus misérable des hommes : le juste traité comme un criminel.

 

Que le Christ ne désire pas mourir, qu’il supplie même d’échapper au supplice, est très rassurant. C’est comme ça que Dieu rejoint toute humanité qui non seulement rejette la mort et la souffrance, mais veut vivre éternellement heureuse.

 

Mais paradoxalement, qu’il accepte de se sacrifier et de se soumettre à la mort devrait nous rassurer plus encore. Puisque nous savons dès lors qu’il accepte, par le don total de lui-même, de rejoindre la souffrance la plus injuste.

 

Dieu ne demande pas que nous nous sacrifiions : le Christ l’a fait pour tous. Dieu demande simplement que nous l’aimions et que nous nous aimions les uns les autres comme lui nous aime.

 

Ce n’est qu’une fois qu’est véritablement gravée dans notre cœur cette loi d’amour de Dieu que l’on peut comprendre le sacrifice. Il est comme celui d’une mère, d’un père qui se sacrifient pour leur enfant : qui font don de leur vie et de leur corps. Ils le font de bon cœur et acceptent bien volontiers pour leurs enfants désagréments et souffrances.

 

Dieu ne nous demande pas plus que les sacrifices que nous sommes prêts à consentir par amour.

 

— Fr. Laurent Mathelot OP




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