S’abaisser… pour mieux se redresser
- Frédéric Kienen
- il y a 3 jours
- 4 min de lecture
5e dimanche du Carême - 6 avril 2025
Évangile selon saint Jean (8, 1-11)

Chers Frères et Sœurs,
Petite anecdote pour commencer ! Je suis sûr que la plus grande majorité de vous, ici présents, ignorez que nous avons failli ne jamais entendre ce récit d’Évangile. En effet, ce texte n’apparaissait pas dans les deux premiers Codex – c’est-à-dire les livres qui rassemblaient les deux Testaments avant d’être appelés Bible plus tard – jusqu’au 5e siècle. Pourquoi ? Car, en raison des normes morales strictes de l’époque, le thème de ce récit dérangeait… bien qu’il existait et était connu dans la tradition. Ce n’est qu’au 5e siècle que ces versets de Jean sont à nouveau réapparus dans les écrits.
Bon, après cette petite pause, entrons maintenant dans le vif du sujet. Si nous voulons mimer l’Évangile d’aujourd’hui, nous pouvons y découvrir deux mouvements importants à mettre en valeur : d’une part un cercle qui se resserre et se referme sur cette femme et sur Jésus… jusqu’à le faire éclater ; d’autre part Jésus qui, par deux fois, s’abaisse et se relève… ce qui est loin d’être un détail. Aussi, revoyons ensemble cette scène en détails.
Nous sommes dans la cour du Temple de Jérusalem où Jésus enseigne à la foule qui est nombreuse pour Soukkôt, la « fête des tentes ». Notons que cette fête, qui dure six jours, est le troisième grand pèlerinage juif (avec Pâques et Pentecôte) durant lequel les Juifs célèbrent les dernières récoltes de l’année et commémorent l’assistance divine au peuple d’Israël durant l’Exode. Plus précisément, notre récit se déroule le dernier jour de cette fête, appelé « le jour de la joie de la Loi », c’est-à-dire le jour de réjouissance du don de la Loi par Dieu à Moïse. Comble de l’ironie, c’est justement ce jour que certains sont sur le point d’utiliser cette même Loi pour donner la mort d’une femme. En effet, les scribes (les spécialistes de la Loi) et les Pharisiens amènent sans ménagement une femme surprise en flagrant délit d’adultère. Entre-nous, il ne faut pas être un génie pour savoir qu’il faut être deux pour un tel délit… or, l’homme qui était avec elle n’est pas inquiété. Mais bon… poursuivons. Avant de lapider cette femme comme le prévoyait la Loi, les scribes et les pharisiens veulent surtout l’utiliser pour tenter de coincer Jésus. Ils savent que Jésus réserve bon accueil aux pécheurs, mais ils savent aussi que la Loi est de leur côté. « Maître, cette femme a été prise en flagrant délit d’adultère. Or dans la Loi, Moïse nous a ordonné de lapider ces femmes-là. Et toi, que dis-tu ? ». Dans le cas présent, le piège est bien ficelé, car il ne semble présenter aucune échappatoire… soit Jésus se montre clément et ils pourront alors l’accuser d’être contre la Loi ; soit Jésus approuve la lapidation et il sera alors en contradiction avec son propre enseignement. Il est coincé !
Le cercle est complètement refermé tant sur la femme qui va mourir que sur Jésus qui ne pourra pas s’en sortir. Alors que tous les regards sont sur lui, Jésus « s’abaisse » une première fois « et du doigt, écrit sur la terre ». Est-il embarrassé ? Veut-il se donner quelques secondes de réflexion ? Veut-il faire comprendre quelque chose par ce geste ou simplement donner du poids à ce qu’il va dire ? Les scribes et les pharisiens s’impatientent et persistent à l’interroger. Alors, d’un coup, Jésus « se redresse » une première fois et prononce cette parole devenue proverbiale : « "Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre." Il se baissa de nouveau, et il écrivait sur la terre ». Remarquons au passage la délicatesse de Jésus qui laisse à ses adversaires aussi une porte de sortie… une porte qu’ils vont d’ailleurs s’empresser de prendre : « Eux, après avoir entendu cela s’en allaient un par un en commençant par les plus âgés ».
Sentant que tous les scribes et les pharisiens sont maintenant partis, laissant seuls Jésus et la femme, Jésus « se redresse » – le même mot en grec qui signifie également « se relever » et « ressusciter » – une seconde fois… et aide également la femme à « se relever »… à «ressusciter ». Puis, dans une dernière parole feinte de surprise, Jésus va lui demander : «Femme, où sont-ils donc ? Personne ne t’a condamnée ? » ; pour enfin conclure par un ultime don d’Amour et d’ouverture à la miséricorde : « Moi non plus je ne te condamne pas. Va, désormais ne pèche plus ». Étonnamment, cette parole de Jésus n’est pas à proprement parler un pardon, comme nous l’attendrions de lui. Toutefois, cette parole demeure une parole qui va la libérer et la relever, une parole capable de lui insuffler du courage, une parole qui va l’aider à reprendre sa vie en main. En ce sens, nous pourrions presque entendre son sens véritable lorsque nous aussi nous égarons parfois : « Je ne te réduis pas à cette faute… je ne t’enferme pas dans ton passé ... tu es capable d’autre chose… Et maintenant, le choix te revient. Que veux-tu faire maintenant ? Veux-tu revenir vers moi ? Vers moi qui t’aime et t’attends ? » Ainsi, en quelques mots, Jésus a brisé le piège et l’encerclement dans lesquels ils se trouvaient, lui et la femme. Par sa parole, il l’a sauvée de la mort, il l’a « ressuscitée ».
Pour conclure, chers Frères et Sœurs, en ce temps de Carême, un temps de conversion et de transformation de nos cœurs, comment ne pas se laisser interpeler par ce geste courageux et tellement révélateur de Jésus ? Nous qui sommes malheureusement enclins à juger et à condamner trop rapidement ? Jésus nous enseigne encore aujourd’hui cette reconnaissance de notre part que le jugement enferme et tue… par le simple fait qu’il réduit celui qui a fauté à sa faute, comme si le fautif n’était plus que cela ! Carl Rogers, un psychologue américain du siècle dernier, disait à ce sujet : « Quand on ne juge pas quelqu’un, on libère en lui des forces prodigieuses de changement ». En ce sens, il ne s’agit pas pour nous de minimiser et encore moins d’approuver le mal réalisé (Jésus n’a pas dit que l’adultère n’est rien), mais plutôt de nous redresser, afin d’apporter et vivre ce même regard d’Amour que Jésus en disant nous aussi : « Va, et désormais ne pèche plus ». Et ce, afin de redresser ceux qui se sont égarés et de ressusciter leur cœur meurtri, afin de les aider à remonter la pente et les conduire à nouveau vers la source du pardon véritable.
Amen. Maranatha.
Frédéric Kienen