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Photo du rédacteurFr. Laurent Mathelot, o.p.

Pourquoi le Christ se fait-il baptiser ?

Le Baptême du Seigneur — 12 janvier 2025

Évangile selon saint Luc 3, 15-16 ; 21-22



J’ai une tendresse pour Jean le Baptiste. Il apparaît un peu – si vous me permettrez l’expression – comme le perdant magnifique du Christianisme. D’abord Jean a une intuition en opposition avec son temps et son milieu. Lui qui descend d’une famille sacerdotale de Jérusalem quitte tout pour aller prêcher au désert, plus exactement sur les rives du Jourdain qui marquent la frontière entre désert et Terre d’Israël. « Je suis la voix de celui qui crie dans le désert : Redressez le chemin du Seigneur » (Jn 1, 23). Pour lui, il faut conquérir à nouveau la Terre promise. C’est dire que, dans son esprit, Israël n’est plus rien ; le Temple n’est plus rien ; le peuple de Dieu lui-même est dépouillé, nu, sans terre, revenu à l’errance. Et Jean l’assume pour lui, se vêt en conséquence, quitte Jérusalem pour les terres arides et prône une nouvelle entrée en Terre sainte. En se positionnant comme les Hébreux avant l’entrée en Terre promise, Jean pose un acte de défi radical à l’establishment dont il est issu et à l’esprit de son temps.


C’est radical est c’est sans doute ce qui me plaît en lui. Jean quitte tout – confort, famille, situation, nourriture et vêtements – pour assumer le dépouillement de son peuple et la désolation de son époque.


Puis arrive Jésus de Galilée, qui le dépasse et rafle la mise : son bel idéal, la nouvelle entrée en Terre promise, ses disciples, tout ce que Jean a mis en œuvre, Jésus semble s’en emparer… presque l’en dépouiller. Et l’Écriture insiste : « Moi, je vous baptise avec de l’eau, mais il vient, celui qui est plus fort que moi. Je ne suis pas digne de dénouer la courroie de ses sandales. » On l’a l’impression d’une course de fond où Jean se fait coiffer au poteau parle Christ.


Même sa mort, que l’Évangile situe également lors d’un repas, n’est pas accomplie comme celle du Christ. Vous vous souvenez de l’épisode de la tête de Jean offerte à Salomé sur un plateau pour une danse lascive. C’est Hérode qui triomphe à la mort de Jean, alors que c’est le Christ qui triomphe à sa propre mort.


J’ai une tendresse pour Jean le Baptiste parce qu’il apparaît comme un magnifique perdant, un bel idéaliste qui a perdu son combat. Il est intransigeant et c’est ce qui lui coûte la tête.


C’est Jean qui invente le baptême mais c’est Jésus qui s’y voit couronné par Dieu. Une voix venant du ciel dit « Toi, tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie. »


Alors Jean le Baptiste n’est-il qu’un admirable perdant ? Oui et non.


Oui, c’est le Christ qui accomplit sa mission. Jean s’efface et c’est Jésus qui triomphe. Remarquons que lui-même, Jésus, triomphe à la manière d’un perdant. Car s’il apparaît muni de la plénitude de l’Esprit à son baptême ; il meurt à bout de souffle – en rendant l’Esprit – moqué jusqu’au pied de la Croix par des foules qui tantôt l’acclamaient et maintenant réclament sa crucifixion.


Jean le Baptiste est humain, nous sommes humains et le Christ est humain. Et ultimement l’humanité s’efface devant la divinité. En cela, tous, nous apparaissons comme des perdants. Et tous nous mourrons.


Mais finalement, et dès le baptême de Jean, nous triomphons. Si, dans la crèche, Dieu rejoint notre humanité, au baptême de Jean – je l’ai dit – Dieu rejoint nos combats. En se laissant baptiser par lui, Jésus endosse la révolte de Jean le Baptiste contre la corruption des élites et l’hypocrisie du Temple. Jean est un révolté contre son époque et le Christ vient le rejoindre au bord du Jourdain. Il vient habiter la radicalité de sa contestation avec la plénitude de l’Esprit Saint. Ainsi, comme dira saint Paul à Tite : il nous apprend « à vivre dans le temps présent de manière raisonnable, avec justice et piété », faisant de nous « un peuple ardent à faire le bien. »


Tous nous menons des combats. Sans doute chacun avec une radicalité différente mais je crois que tous, il nous arrive d’être révoltés par la corruption et l’hypocrisie, par l’injustice. Celle de notre époque et, peut-être aussi, la nôtre. Tous, nous menons des combats, contre le mal en nous et contre le mal dans le monde. Et le mal, à juste titre, nous révolte.


Si le Christ vient se faire baptiser par Jean alors qu’il est Dieu, c’est pour signifier que, par le baptême, il endosse tous les combats de notre vie, tous les combats de l’humanité. Dieu n’a pas besoin d’être baptisé mais Dieu veut montrer, par le baptême, qu’il peut investir la radicalité de tous nos combats humains.


C’est effet si nous laissons le Christ habiter pleinement les combats que nous menons – et à cette seule condition – que nous les accomplirons avec justice. Et ainsi, avec Dieu, de tous les combats, nous sortirons vainqueurs.


C’est à nous, et depuis notre baptême, que Dieu dit : « Tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie. »

 

— Fr. Laurent Mathelot OP




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