« Ne nous souvenons plus d’autrefois »
- Michel Teheux
- 6 avr.
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 4 jours
5e dimanche du Carême - 6 avril 2025
Évangile selon saint Jean (8, 1-11)

Regardez-là, cette malheureuse ! On la jette aux pieds de Jésus pour qu’il ratifie la sentence prononcée contre elle. Elle a perdu son air hautain et n’ose plus relever la tête. Elle a péché, elle a transgressé la loi, et la loi ne peut plus rien pour elle. La loi peut dénoncer le péché ; elle ne peut rien pour le pécheur. Cette femme est réduite à son péché et ne peut plus vivre.
Ils la jugent, eux, ces pharisiens et ces hommes de loi ; Forts de leur savoir, forts du bon droit qu’ils doivent défendre, ils se sont institués ses censeurs et ils la réduisent à ce qu’elle a fait : elle, elle ne compte pas, elle n’est même plus une personne, tout juste la fautrice, celle qui met à mal l’ordre de la loi.
Mais, regardez aussi Jésus. Il dénonce le jugement. Son astuce est d’aborder les pharisiens non sur le terrain où ils attaquent, mais sur celui de leur propre conduite : « Que celui qui est sans péché lui jette la première pierre » ! Jésus démasque l’homme et déboute l’accusation : nul n’est indemne ni innocent. Tous sont coupables si on retient les principes et la froideur de la loi. Tous sont des accusés potentiels et nul ne peut échapper au « grand inquisiteur ».
« Femme, t’ont-ils condamnée ? Moi, non plus, je ne te condamne pas ». Jusqu’alors, personne ne lui avait parlé. On avait parlé d’elle, de son péché. Maintenant, quelqu’un lui adresse la parole sans l’identifier à sa faute : « Femme ». Son péché n’est pas excusé ; on ne fait pas « comme si », mais simplement, elle est appelée « femme ». Pour quelqu’un, elle existe encore. Malgré sa faute, au-delà de sa faute, dans sa faute elle-même.
« Va » ! Lui, au lieu de l’emprisonner dans ses erreurs ou dans la fatalité de l’existence, au lieu de la faire mourir sous le poids de jugements sans âme, avant de la tuer sous les coups de pierres, lui, il lui dit le mot de la vie et du renouveau possible : « Va » ! C’est le mot de la vocation ; elle n’est plus l’adultère honnie, elle peut devenir le disciple qui se met à l’écoute de l’Évangile. Parce qu’elle a été regardée, sans mépris et sans excuse, en ce qu’elle est, « femme ».
La séductrice a été séduite. Elle qui passait son temps à « prendre les hommes », elle est saisie par un amour qui l’éveille à elle-même, à plus qu’elle-même, à ce qu’elle peut devenir.
L’Alliance que Dieu veut nouer avec nous est création : « Ne songez plus au passé » ! Tendus vers l’avant, courrez vers le but ! Notre modèle n’est pas dans un passé d’innocence illusoire, un paradis perdu ; notre modèle, c’est le Christ ressuscité, vivant. Nous ne sommes pas des hommes déchus, mais des êtres en construction, c’est l’homme que Dieu veut faire advenir. Au-delà de tous les regrets stériles, de toutes les contritions qui ne sont que l’enregistrement de ce que nous avons été et de ce qui est dépassé. Notre conversion de carême s’écrit en termes de futur et d’espérance ; « Va » !
La loi ne pouvait sauver la femme jetée aux pieds de Jésus, elle l’emprisonnait, la jugeait, la tuait. Seul, l’amour qui se fait silence, pouvait la relever, la ressusciter. Seul, l’amour peut mettre debout, car, lui seul, au-delà de tous les crimes et toutes les fautes, au-delà de toutes les infidélités et les manquements, peut affirmer la vérité : « Je ne te condamne pas, va » !
Oui, « va, j’espère en toi, pour nous ». L’amour ne nierait lui-même s’il n’était relevailles : c’est pour lui-même que Dieu espère encore en nous.
Le procès de Jésus a déjà commencé. L’opposition s’est resserrée autour de lui et l’étau risque à tout moment de se refermer sur lui. L’heure de son jugement a commencé avec l’instruction ouverte contre la pécheresse publique. On ne sauve pas la vie des autres sans donner la sienne. Lorsqu’il relève l’accusée, Jésus est déjà sur le Mont des Oliviers. En fait, le jugement est déjà prononcé : on tuera le libérateur, tandis qu’il ouvre la voie du salut et du pardon.
Frères, Pâques est proche. C’est la fête du jugement, car le jugement de Dieu, c’est la victoire de Pâques. Quand le passé s’éveille au renouveau, lorsque le péché reste au fond du tombeau et que nous nous dressons pour regarder l’avenir. Écoutez le Christ vous dire : « Moi non plus, je ne te condamne pas ». Ne restez pas dans la poussière, les yeux rivés sur votre péché, car Dieu vous appelle. « Ne songez plus au passé » ! Dieu vous le dit et vous avez désormais vocation de le manifester. Vous avez vocation de libérateurs : trop de vies sont cassées, désespérées parce qu’un jour, quelqu’un a fait peser sur l’autre le fardeau de ses reproches, l’accablement de ses commentaires ou de ses médisances. Nous avons reçu vocation de Pâques : « Va » ! est, pour nous, un devoir.
Michel Teheux