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Photo du rédacteurMichel Teheux

L’homme rendu à lui-même

4e dimanche du temps ordinaire - Évangile selon saint Marc 1, 21-28


Face-à-face impressionnant : tous, dans la synagogue, sont frappés de stupéfaction. D’un côté, un homme possédé, mal dans sa peau, tenaillé par un esprit mauvais. Un homme hors de lui, dépossédé de lui-même, image de tant de vies qui se perdent faute de sens, de tant d’existences inhumaines.

« Qu’est-ce que donc que l’homme ? » Face à ce malheureux, un homme aussi, libre, au regard de feu, habité par l’Esprit.

« Qu’est-ce que l’homme, pour que tu penses à lui » ? Dieu ne nous a pas abandonnés à notre malheur : en Jésus, il nous manifeste que la vie est possible, l’espérance tenable.

 

Un homme possédé. Un pauvre homme. Le cœur et l’esprit bloqués. Il a peur, peur qu’on le regarde, peur qu’on le touche. Pauvre homme, pauvres gens ! Car, bien sûr, la scène ne se passe pas seulement à Capharnaüm, elle est entre nos murs. C’est notre histoire. Dépossédés de nous-mêmes, nous le sommes. Bien peu d’hommes vivent en paix dans leur demeure intérieure. Nous nous sentons faits pour l’aventure, mais le risque nous fait peur.

Notre cœur crie après la liberté, mais nous sommes esclaves de tant de contraintes sociales, personnelles, religieuses, civiles, morales. Nous voulons la justice, mais comment faire dans un monde dont les structures nous dépassent ?

 

Un homme parait alors dans notre histoire. Libre. Que nous veux-tu, Jésus de Nazareth ? Regardez-le ce Jésus. Il embrasse les enfants et ose toucher les lépreux. Une femme le couvre de parfum et il la laisse faire. Il mange et il boit, comme un fêtard, dira-t-on. Il enfreint le sabbat et il appelle Dieu son Père. Il n’enseigne pas comme les scribes qui chargent les épaules de fardeaux trop pesants. Il parle de foi, mais il délaisse la religion toute faite.

 

Face-à-face étonnant où cet homme nous dit : « Viens avec moi, je te fascinerai, mais sans te posséder, je te pardonnerais sans rien demander ; je te transfigurerais et ton visage renaîtra, tu seras libre ».

 

Face à face impressionnant, en cet homme, bien dans sa peau, sûr de lui-même et qui enseigne avec une autorité qui lui est propre, dans cet homme transparent dans la conviction qu’il a de correspondre parfaitement avec ce que Dieu veut, dans cet homme qui est seul vraiment homme, nous contemplons l’homme accompli. Un homme de notre histoire et de notre race a été arraché aux forces qui dépossèdent l’homme de sa propre existence : l’égoïsme, l’injustice, la désespérance, le fatalisme, l’indifférence.

 

L’homme est possible parce qu’un homme a vécu en pleine possession de ce qui le rend homme : l’amour, le partage, la naissance. Jésus est l’homme accompli, parfait, le nouvel Adam, disait Saint Paul. Parce qu’en lui le cercle infernal de nos aliénations a été rompu dans le parfait épanouissement de nos capacités, nous pouvons croire en l’homme.

 

« Jésus est l’aîné d’une multitude de frères ». Ayant partagé toute l’aventure humaine, il est, par la grâce de Dieu, le salut pour tous. Nous étions devenus des étrangers sur notre propre terre, expatriés de nous-mêmes.

 

Ce jour-là, à Capharnaüm, dans ce face-à-face bouleversant, nous étions rapatriés, rendus à nous-mêmes : notre terre désormais n’est plus une terre d’exil, mais le leu, où, dans un enfantement qui dure encore, s’inaugurent notre résurrection et notre renaissance.


Michel Teheux




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