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Photo du rédacteurFrédéric Kienen

« Il fait entendre les sourds et parler les muets »

23e dimanche du temps ordinaire - 8 septembre 2024

Évangile selon saint Marc 7, 31-37




Chers Frères et Sœurs,

 

Je ne sais pas si vous avez remarqué … ou du moins je vous l’apprends pour certains … les Lectures des jours précédents parlaient du mouvement de la foi, comme l’abandon libre et volontaire de nos certitudes et de notre maitrise sur le monde ; le dépassement du regard des autres, ceux qui considèrent la foi et la Sagesse de Dieu comme « folie ». Pourquoi ? Pour soutenir notre capacité naturelle à rencontrer Dieu … non pas à partir de critère humains et limités, mais bien à partir de l’émerveillement, de la confiance, de la surprise … de l’Amour. Aujourd’hui, les trois premières lectures (Isaïe, Psaume et lettre de Jacques) viennent clore ce chapitre par une image des plus saisissante : celle de la conversion. J’ai une petite question pour vous : Savez-vous ce que signifie ce mot « conversion » ? … Conversion vient de « conversio » en latin, qui signifie le « retournement », le « changement brusque et total de direction » … Bref, vous m’avez compris … Dans les Lectures d’aujourd’hui, comme un négatif photo de nos certitudes humaines, tout est inversé : le muet crie, le boiteux bondit, l’eau jaillit et inonde le désert, le pauvre d’argent est le riche de cœur. Ainsi, c’est en réaffirmant la nécessité de « la conversion », celle qui ouvre à une nouvelle réalité spirituelle, que nous pouvons atteindre Dieu … afin d’entrer dans sa relation guidée par la plus grande force, celle de l’Amour.

 

Bon, récapitulons ! J’ose librement dépasser ma maitrise du monde, de moi, du regard des autres … c’est ici que j’entre dans une relation particulière avec Dieu où, petit à petit, je découvre et vis son Amour. J’entre dans ce mouvement de conversion … très bien … mais après ? Existe-t-il un moyen, une force particulière pour nous maintenir dans la foi ?

 

Autre question, autre méthode … Adoptons maintenant un regard particulier et plus concret à partir de la vie Christ … comme Marc nous l’a rapporté dans son Evangile : des phrases courtes, des détails vivants, des paroles percutantes : tout cela est bien dans la manière de l’évangéliste saint Marc, qui travaille à partir des souvenirs de Pierre. 


Avant de poursuivre, il est important de préciser un point … vingt siècles nous séparent de ce miracle et avec nos connaissances médicales actuelles, nous risquerions de buter sur certains détails : Jésus qui met deux doigts dans les oreilles du sourd et qui lui touche la langue avec un doigt humecté de salive. Ces gestes étranges pour nous étaient pourtant assez courants dans la médecine populaire au temps de Jésus, non seulement en Israël, mais dans tout le monde gréco-romain. 


D’ailleurs l’essentiel n’est pas là, mais dans ce qui suit : Jésus regarde longuement le ciel, pour bien signifier à ce pauvre homme d’où va venir la guérison : c’est la puissance de Dieu qui va se manifester. Jésus soupire ; non pas qu’il soit déjà fatigué d’opérer des miracles en réponse à la foi des petites gens, mais pour reprendre à son compte le gémissement de l’humanité souffrante, la longue plainte des malades chroniques et des handicapés, accomplissant ainsi la prophétie d’Isaïe sur le Serviteur Souffrant : « C’était nos maladies qu’il portait ».

 

Puis vient la parole, une seule parole, qui accomplit la guérison, une parole comme un souffle si mystérieuse que Marc l’a conservée telle quelle dans l’araméen populaire que parlait Jésus : « Effata ! » … « Ouvre-toi ! » : c’est un ordre et un programme de vie. Car cette unique parole de Jésus agit à un double niveau : 1* elle guérit le corps, ouvre les oreilles et délie la langue ; 2* mais surtout elle interpelle l’homme … car c’est lui qui doit lire sur les lèvres de Jésus cette consigne qui va bouleverser sa vie (et la nôtre) : « ouvre-toi ! » « Effata ! » ... « Aussitôt ses oreilles s’ouvrirent, sa langue se délia, et il parlait correctement». Jésus guérit donc à la fois la surdité de l’homme et sa langue embarrassée.

 

Notons que les deux maux sont liés, en effet : souvent les muets sont muets parce qu’ils sont sourds ; ils ne peuvent rien dire ou du moins incorrectement parce qu’ils n’ont jamais rien entendu, parce qu’ils ont grandi et vieilli dans un monde sans paroles ni sons. Ainsi en va-t-il de nous-mêmes devant Dieu dans la prière lorsque nous n’osons pas franchir ce cap de la conversion ; souvent c’est notre surdité qui nous rend muets et timides. Faute d’entendre la parole de Dieu, nous ne trouvons plus de mots pour lui parler ou pour parler de lui. 


Pour conclure, chers Frères et Sœurs, je vous dirais un mot : « Osons ! » Osons abandonner nos certitudes, librement, volontairement – j’insiste sur ce terme car si l’élan n’est pas interne, qu’il ne vient pas de nous-mêmes, cela engendrerait un conflit où ce qui est extérieur ne fait que nous enfermer dans l’angoisse – Ainsi, c’est par la « conversion » du cœur, en remettant entièrement notre confiance en celui qui nous a créé, que nous découvrons un état de calme et de paix ; où seul l’Amour règne. 


Et comment rester dans cet état me direz-vous ? En laissant une force vive agir en nous, en laissant jaillir en abondance une source vive jusqu’à pouvoir nous y baigner entièrement. Source qui prend sa source dans le Souffle … Ce souffle de l’Esprit qui procède du Père, comme l’Evangile nous le rappelle aujourd’hui, et du Fils, comme nous le rappelle l’Evangile du Vendredi Saint au moment où le Christ en croix remet l’Esprit. Ce même Esprit que nous recevons en genèse lors de notre naissance et en force lors de notre renaissance lors de notre baptême. Ce même Esprit qui renouvelle au quotidien notre relation d’Amour au Père par la prière. 


Ainsi, ouvrons nos cœurs au souffle de l’Esprit et prions. « Effata ! », toi qui t’enfermes dans ta solitude et qui portes toute souffrance comme une rancœur. « Effata ! », toi qui es clos sur ton passé et qui traînes à longueur de vie le fardeau de tes souvenirs. « Effata ! », toi qui attends toujours d’être aimé pour te mettre en route vers l’autre. Ouvre-toi à cet homme, à cette femme, à cet ami ou amie, qui est encore plus seul que toi, plus muet ou muette, et qui ne veut plus rien entendre parce que tu l’as trop souvent déçu. Ouvre-toi à la nouveauté que Jésus te propose. Ouvre-toi surtout à la parole de ton Dieu, qui vient te donner la force et la liberté, et qui agrandit chaque jour, si tu le veux, l’espace de ton espérance.


Amen. Alléluia.

 

Abbé Frédéric Kienen



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