10e dimanche du temps ordinaire - 9 juin 2024
Évangile selon saint Marc (3, 20-35)
Il était de chez eux, il avait vécu trente ans à Nazareth. Chacun le connaissait ; il travaillait avec son père Joseph, un homme de confiance. Des gens sérieux. Et les femmes s’entretenaient chaque jour avec Marie près de la fontaine. On parlait du soleil qui desséchait les semailles, du bébé de madeleine qui n’allait pas très bien, des fiançailles de Sara ; de braves gens sans histoire.
Sans doute, les plaignait-on. Pauvre Joseph : avoir appris un si bon métier à son fils pour le voir s’en aller prêcher. Ah ! les jeunes d’aujourd’hui ! Et puis, vous savez, il s’est lié à des gens pas très recommandables… Pauvres parents, des gens si respectables, ça doit leur faire un coup ! La Marie avait beau cacher sa peine, quelle croix : voir son fils unique devenir un vagabond. On allait arranger les choses. C’était un bon garçon, quand même. Il ne savait pas, ne se rendait pas compte, mais il comprendrait.
La famille trouvait inadmissible l’attitude de Jésus et dangereux son comportement. Avec une vive conscience de leurs responsabilités, les parents ont voulu ramener la brebis galeuse au bercail.
Comment, en effet, celui qu’ils connaissent si bien peut-il avoir cette prétention de parler et d’agir au nom de Dieu ? Dieu est le Tout Autre. L’inconnaissable et lui l’appelle d’un nom commun, ce qu’il y a de plus ordinaire « papa » ; pensez donc le petit nom que prononcent les enfants, parle-t-on à Dieu avec si peu de déférence ? Il faut sauver l’honneur de Dieu et restaurer le respect qu’on lui doit. Il faut ramener Jésus à la raison !
Et comment celui-là qu’ils ont vu grandir, ce petit Jésus, - vous vous rappeler le gamin à qui Marie donnait la fessée parce qu’il jouait dans la boue avec les copains, ce jeune homme dont les cousins sont nos enfants et qui aime tant rire avec les filles près de la fontaine, oui ce Jésus de chez nous, comment peut-il affirmer que ses gestes incarnent, rendent visible l’action de Dieu ? Dieu que nul ne peut voir, vous vous rendez compte quel scandale ! ce jeune si pieux comment peut-il être si près du blasphème pour lequel on peut être lapidé. Il faut le ramener à la raison avant que les théologiens et les prêtres de Jérusalem s’en mêlent. Il faut lui rendre service en le faisant rentrer dans le rang.
Ramener à la raison, obliger à rentrer dans le rang, faire comme on a toujours fait…
Des hommes et des femmes se lèvent-ils pour faire naître la paix et la justice, on les accusera de collusion avec « ceux qui veulent détruire le christianisme » et on leur opposera la « foi de toujours ». Un prêtre fréquentera-t-il des marginaux pour que le désespoir ne soit pas le plus fort, on dénoncera sa liberté de penser et son comportement peu conforme et donc suspect. Malheur à la foi, quand elle ne se cantonne pas dans le rôle que certains prétendent lui fixer !
On ne peut amoindrir Dieu, on le force donc à entrer dans le système. On l’accusera d’être un faux dieu, puisqu’il ne tient pas le rôle qu’on lui impose. « C’est par le pire des démons que tu chasses les démons »…
Alors que l’Évangile représente la fin du pouvoir pour les esprits mauvais, on soutient que Jésus tire sa puissance de ces mêmes forces qu’il anéantit. Parce que Dieu étonne, on déviera de leur sens les signes qui sont porteurs de la Bonne Nouvelle. « Il blasphème » ! tel sera l’acte d’accusation et le motif de condamnation du Fils unique. « Ils ne peuvent plus parler », tel sera le jugement sans appel qui marginalisera radicalement ceux qui parlent autrement de Dieu.
« Dieu pardonnera tout aux enfants des hommes, tous les péchés et tous les blasphèmes qu’ils auront fait. Mais si quelqu’un blasphème contre l’Esprit-Saint, il n’obtiendra jamais le pardon ». Dieu ne peut faire éclater la prison de celui qui s’enferme à double tour ; Dieu ne peut surgir, ami inattendu, lorsque les portes sont verrouillées. Nul ne peut être libéré de son aveuglement, s’il refuse qu’une lumière, venue d’ailleurs, puisse l’éveiller au jour. Mais y-a-t-il dans notre vie une aille dans nos défenses, c’est par là que viendra l’Homme pus fort que nos fortes têtes et que nos cœurs fermés. Et dans nos demeures débarrassées de leurs fausses richesses, dans nos crédos trop affirmatifs pourra s’inscrire la trace du passage du Christ-Sauveur.
« Celui qui fait la volonté de Dieu, celui-là est mon frère, ma sœur, ma mère ».
Porteront le nom de Jésus ceux qui vivront on leur cœur ce qui a été sa raison de vivre. Être de sa famille exige de se réunir autour de lui pour l’écouter, pour vivre avec lui. Seront de sa famille ceux qui naîtront de l’amour reçu, écouté, pratiqué. Car adopter le nom de quelqu’un, c’est accepter de regarder les choses de la vie comme lui, se mettre sous son influence, partager son sort et sa réputation, lui appartenir.
« Parcourant du regard ceux qui étaient assis au cercle autour de lui, il dit : Voici ma mère et mes frères ». La famille de Jésus, c’est vous qui vous rassemblez autour de lui, qui écouter sa parole et y conformer votre vie. C’est vous qui avez été baptisés dans sa mort et sa résurrection et avez reçu son Esprit en héritage. C’est vous, lorsque vous prenez comme unique référence de votre vie, ce que Jésus a dit été fait, lorsque vous vous livrez au pardon et à la tendresse de Dieu. C’est vous qui rassemblez, peuple en fête, pour accueillir la nouvelle arche d’alliance qui plante sa demeure parmi vous, qui partagez ce que le Seigneur a laissé, sa Parole et son Pain.
Jésus revient vers la maison, vers les hommes. Avec lui, liés jusqu’à la fin, des disciples qu’il amènera à découvrir son secret. Ils étaient de sa famille, parce que nés de Dieu. Au cœur du monde, lié à son Seigneur jusqu’à la fin, s’avance le peuple de ceux qui portent son nom, l’Église de Dieu lorsqu’elle n’a pas pour héritage et trésor que les signes de la tendresse de Dieu.
Michel Teheux