Évangile selon saint Jean (16, 15-20)
Jésus fait ses adieux.
Jamais l’expression n’aura été aussi vraie : il s’en va à Dieu, vers son Père !
Ses paroles sont les dernières et elles ont le poids des mots ultimes, essentielles.
« Je suis avec vous jusqu’à la fin des temps » !
Présence du Seigneur à son Église, jusqu’à la fin des temps.
Mystère de l’Église unie à son Christ, « Christ continué » comme l’ont dit certains théologiens. L’Église est désormais le sacrement de Dieu, la visibilité de Dieu en ce temps.
Lorsqu’elle s’essaie à dire en mots d’aujourd’hui la Parole éternelle de Jésus Christ est présent à ses balbutiements : la Parole n’a d’autre lieu pour s’entendre que ces mots d’hommes maladroits.
Lorsqu’elle s’essaie à poser des gestes de charité, Christ est présent à ses tâtonnements : c’est son amour, l’amour créateur, qui est à l’œuvre dans ses gestes imparfaits.
Lorsqu’elle s’exerce à la prière, Christ est présent dans ses approches boiteuses : c’est son Esprit, l’Esprit filial qui déjà oriente notre cœur vers le Père.
« Je suis avec vous jusqu’à la fin du monde… » Paroles de réconfort qui attestent que l’Église est autre chose qu’une société qui promeut une parole d’homme, une idéologie parmi d’autres idéologies : qu’elle est autre chose qu’une association sans but lucratif, société de bienfaisance semblable à tant de groupes caritatifs ; qu’elle est autre chose qu’un club où l’on se sent bien ensemble.
« Je suis avec vous » ! La parole d’homme devient Parole de Dieu, engagement de Dieu et nous voici rendus responsables de ce que s’entende en ce temps le Verbe unique. Des gestes de charité deviennent amour incarné de Dieu et nous voici rendus responsables de ce que la Bonne Nouvelle soit crédible pour tous les démunis, les exploités, les injustement traités. L’élan du cœur vers autre chose devient respiration même de l’Esprit et il dépend de nous que le monde soit désormais orienté vers Dieu.
« Je suis avec vous jusqu’à la fin des temps » ! L’Église est un mystère, c’est-à-dire qu’elle ne se comprend que dans la foi. Ce que nous disons, ce que nous faisons engage l’éternité car Dieu s’est lié avec nos paroles et nos gestes d’hommes. Noces de l’Église et de son Seigneur, indissoluble union. Dieu s’est marié avec nous et nous devenons responsables de Dieu. Ils ne se trompent pas ceux qui se scandalisent de nos déchéances et nous accusent de les détourner de Dieu : si les chrétiens ont devoir de sainteté c’est bien parce qu’ils sont devenus la visibilité de Dieu.
« Christ continué », l’Église, épouse du Seigneur, est le sacrement de Dieu en ce temps.
Mais c’est dire alors aussi qu’il y a une distance entre Dieu et l’Église : si elle est sacrement, l’Église est en même temps l’apparaître et l’absence.
Ce n’est pas sans signification que Jésus affirme solennellement sa présence à l’Église au moment même où il fait ses adieux. « Il disparut à leurs regards » !
Si nous aimons parler de la présence de Jésus, il nous faut peut-être apprendre à parler de son absence.
Si l’Église est l’Épouse, elle est aussi la veuve.
Nous sommes veufs de celui qui nous a légué ces mots étranges : « Il est bon pour vous que je m’en aille » !
Absence de Dieu vécue dans le balbutiement des mots qui cherchent à dire Dieu sans jamais pouvoir dire totalement son mystère, absence qui nous oblige à toujours chercher, à toujours redire, à toujours nous taire pour écouter.
Absence vécue dans l’inadéquation de notre charité aux besoins incommensurables des hommes, absence qui nous oblige à toujours ouvrir notre cœur aux dimensions du monde et à multiplier les gestes de partage.
Absence vécue dans le désir et l’insatisfaction de toute prière qui nous oblige à toujours nous remettre sous la lumière de Dieu et à retourner à la source.
Absence qui empêche l’Église de se satisfaire de son action, de se complaire dans une auto-admiration, qui nous pousse à vivre encore pour Dieu et pour les hommes pour qu’enfin transparaisse un peu plus et plus véritablement la présence de Dieu qui ne peut manquer aux hommes.
Le temps de l’Ascension dit la vocation de l’Église.
Et c’est pour cela aussi qu’il dit la grandeur de l’Église : dans les traits de la veuve, il nous est donné d’entrevoir le visage du Bien-Aimé.
Michel Teheux